Mon travailleur fait de la politique
Les élections locales et provinciales auront lieu dans toute la Belgique le 13 octobre 2024. Ces élections impliquent non seulement le droit d’aller voter (en Flandre) ou le vote obligatoire (à Bruxelles et en Wallonie), mais aussi le droit de se présenter à ces élections. Quid si votre travailleur se porte candidat ? Quelles sont les implications sur la relation de travail et quelles solutions sont possibles ?
Dans cet article, nous nous penchons sur la période précédant les élections. Sachez que vos travailleurs qui sont élus peuvent prendre du congé politique après les élections pour l’exercice de leur mandat. Plus d’informations à ce sujet suivront dans un article ultérieur.
Un équilibre entre droits, libertés et obligations
Votre travailleur a droit à une vie privée et est libre d’avoir ou non des convictions politiques et d’exprimer son opinion.
Les droits et libertés de votre travailleur ne sont toutefois pas sans limites. Cela est dû au fait que votre travailleur n’exerce pas ses droits et libertés dans le vide, mais dans un contexte particulier. Dans ce contexte se trouvent d’autres personnes qui ont, elles aussi, des droits et libertés dont il faut tenir compte. En outre, les droits et libertés exercés dans un contexte donné peuvent avoir un impact en dehors de ce contexte, et donc avoir une incidence sur la relation de travail, par exemple.
En concluant un contrat de travail avec vous, vos travailleurs assument l’obligation de se conformer à vos ordres et instructions en lien avec l’exécution du contrat de travail. Ils ne peuvent pas adopter un comportement susceptible de vous porter préjudice en tant qu’employeur.
En tant qu’employeur, vous avez vous-même aussi des droits et libertés, comme le droit d’exercer l’autorité patronale et la liberté d’entreprise. Sur cette base, vous pouvez imposer, dans certaines limites, des restrictions à l’exercice par vos travailleurs de leurs droits et libertés. Pour savoir ce que vous pouvez faire et jusqu’où vous pouvez aller, il convient de trouver un certain équilibre. Ni vous en tant qu’employeur, ni votre travailleur ne pouvez abuser de vos droits et libertés respectifs. Si vous imposez des restrictions à vos travailleurs, celles-ci doivent être appropriées et nécessaires à l’atteinte d’un but légitime. En imposant des restrictions, vous devez éviter de porter atteinte aux droits et libertés de vos travailleurs. Et si une telle atteinte est inévitable, vous devez la limiter au maximum.
En cherchant cet équilibre, vous tenez compte de toutes les données et de tous les faits concrets, comme le contenu de la fonction de votre travailleur, la nature de votre organisation et la teneur des activités politiques de votre travailleur.
Lorsque des règles légales spécifiques s’appliquent à la situation, vous les respectez également. Quelques exemples de règles de protection spécifiques de ce genre :
Votre travailleur est protégé contre le licenciement
Si votre travailleur se présente aux élections du 13 octobre, vous devez tenir compte du fait que ce travailleur est protégé contre le licenciement. Cela n’implique pas l’impossibilité d’envisager le licenciement – si la question devait se poser – mais plutôt que vous devez pouvoir justifier le licenciement par des motifs n’ayant pas le moindre rapport avec l’engagement politique de votre travailleur. Vous devrez également pouvoir le prouver. Si vous n’y parvenez pas, votre travailleur aura droit à une indemnité de protection équivalant à six mois de salaire en plus du régime de licenciement « normal » qui doit bien entendu aussi être respecté.
Votre travailleur bénéficie déjà de cette protection à l’approche des élections, à condition qu’il vous annonce sa candidature par lettre recommandée. Cela n’est possible qu’à partir de six mois avant les élections. La durée de la protection dépend du déroulement des élections. Si votre travailleur n’est pas élu, la protection continue à courir jusqu’à trois mois après les élections. Si votre travailleur est élu, il reste protégé pendant toute la durée du mandat et également pendant les six mois suivant la fin du mandat. Si votre travailleur ne vous a pas signalé sa candidature à l’avance, il n’est protégé qu’à compter du jour des élections.
Vous ne pouvez pas discriminer votre travailleur pour ses convictions politiques
En tant qu’employeur, vous ne pouvez pas commettre de discrimination fondée sur des convictions politiques.
Toute forme de discrimination est interdite.
Ainsi, vous ne pouvez pas traiter un travailleur plus défavorablement qu’un autre se trouvant dans une situation similaire mais ayant des convictions politiques différentes, sauf si cette distinction se justifie objectivement par un but légitime et que les moyens de réaliser ce but sont appropriés et nécessaires. Il convient donc aussi de trouver un équilibre sur ce plan.
Mais d’autres formes de discrimination sont également interdites, par exemple lorsque vous prenez une mesure apparemment neutre qui est tout de même susceptible, sans justification, d’entraîner un désavantage particulier pour vos travailleurs qui ont une certaine conviction politique.
Un travailleur victime de discrimination peut réclamer, entre autres, une indemnisation évaluée sur la base du dommage réellement subi ou fixée sur base forfaitaire à six mois de salaire brut.
Les données à caractère personnel relatives aux opinions politiques sont des données sensibles
Les données à caractère personnel relatives aux opinions politiques d’un individu sont des données à caractère personnel sensibles. Cela implique qu’en principe, un employeur ne peut pas traiter ce genre de données à caractère personnel.
Il existe toutefois quelques exceptions spécifiques à cette interdiction. Par exemple, cette interdiction de traitement ne s’applique pas à des données à caractère personnel relatives aux opinions politiques que votre travailleur a lui-même rendues publiques.
Cette exception signifie-t-elle qu’en tant qu’employeur, vous pouvez sans problème collecter et traiter ultérieurement des données concernant les préférences politiques de vos travailleurs, telles que des données provenant de listes politiques publiques ou des données que vous avez demandées à votre travailleur ?
Non : en tant qu’employeur, vous devez aussi respecter vos autres obligations en vertu du Règlement général sur la protection des données (également connu sous le nom de « RGPD »). Ainsi, chaque traitement doit avoir une finalité légitime bien définie et doit rester limité à ce qui est nécessaire au regard de cette finalité. Les informations nécessaires sur le traitement doivent également être fournies. Normalement, en tant qu’employeur, vous n’aurez déjà pas de but légitime à collecter et à traiter ultérieurement des données relatives aux opinions politiques de vos travailleurs.
Votre travailleur peut-il figurer sur une liste politique ?
Votre travailleur a le droit d’avoir des convictions politiques et de les défendre. Cela implique également que votre travailleur peut décider de figurer (ou non) sur une liste politique.
Votre travailleur doit cependant s’assurer qu’il continue à exécuter son contrat de travail avec soin, probité et conscience, au lieu, au temps et dans les conditions convenus. Il s’agit d'une obligation légale.
Si les activités politiques de votre travailleur risquent de mettre en péril des accords antérieurs, il incombe à votre travailleur de vous en faire part en temps utile. Vous pourrez ainsi examiner ensemble si vous pouvez conclure d’autres accords (temporaires ou non) ou si des solutions sont possibles.
Quid si les activités politiques de votre travailleur sont incompatibles avec sa fonction ou avec votre organisation ?
Exemple de situation : votre travailleur occupe une fonction à visibilité externe et souhaite, par ses activités politiques, attacher son nom à un parti ou à un message diamétralement opposé à l’identité de votre organisation. Dans ce cas, vous pouvez vous y opposer en tant qu’employeur. Une solution peut par exemple consister à convenir d’une modification de fonction (temporaire ou non) avec votre travailleur.
Une règle d’or ? Soyez transparent sur les valeurs que prône votre organisation (par exemple, au moyen d’une charte et de valeurs d’entreprise) et sur vos attentes de la part de vos travailleurs (lors des candidatures, mais aussi au cours de la relation de travail, notamment par le biais du règlement de travail et de politiques). En faisant preuve de transparence, vous éviterez autant que possible des discussions a posteriori et vous pourrez mieux justifier vos décisions. Ne posez pas d’exigences et ne demandez pas d’informations qui ne sont pas pertinentes pour la fonction ou la relation de travail.
Quid si votre travailleur souhaite plus de temps ou de flexibilité pour faire campagne ?
Le congé politique est destiné à des travailleurs qui sont élus et exercent un mandat politique ou une fonction publique. Ainsi, au stade préélectoral, il n’est pas encore question de congé politique pour les candidats aux élections.
Il n’existe pas de forme de congé spécifique pour faire campagne. Les activités de campagne doivent être accomplies en dehors des heures de travail.
Votre travailleur a besoin de plus de temps ? Alors, votre travailleur peut prendre des vacances payées ou un congé sans solde, en concertation avec vous. Mais vous pouvez aussi explorer d’autres possibilités ensemble.
- Horaires flottants
Votre organisation applique des horaires flottants ? Dans ce cas, votre travailleur qui souhaite un peu plus de flexibilité peut y recourir, à condition de respecter sa durée de travail hebdomadaire.
Les horaires flottants se composent d’une part de plages fixes, à savoir des périodes déterminées pendant lesquelles votre travailleur doit être au travail, et d’autre part de plages mobiles, à savoir des périodes variables au cours desquelles votre travailleur décide lui-même du début et de la fin de sa journée de travail, ainsi que des éventuelles pauses prévues. L’horaire flottant ne représente donc pas un horaire imposé et établi à l’avance. Bien entendu, le travailleur doit tenir compte de l’organisation de l’entreprise et ne peut pas travailler plus de 9 heures par jour.
Vous trouverez plus d’informations sur cette possibilité et sur la manière de mettre en place ce système ici.
- Repos compensatoire pour les heures supplémentaires
Peut-être votre travailleur a-t-il presté beaucoup d’heures supplémentaires ? En règle générale, votre travailleur a droit à un repos compensatoire pour compenser les heures supplémentaires prestées. Vous pourriez convenir avec votre travailleur qu’il prenne les heures de repos compensatoire accumulées afin d’avoir plus de temps pour son engagement politique.
- Épargne-carrière
Grâce à l’épargne-carrière, votre travailleur peut épargner entre autres des heures supplémentaires ainsi que des jours de congé extralégal afin de pouvoir bénéficier d’absences rémunérées plus tard. Votre travailleur peut par exemple utiliser des heures supplémentaires épargnées l’an dernier pour prendre un repos compensatoire aujourd’hui.
Peut-être disposez-vous déjà d’un système d’épargne-carrière ? Dans ce cas, votre travailleur pourrait demander de prendre les heures épargnées maintenant. Si votre travailleur n’a encore épargné aucune heure, il ne pourra pas encore utiliser ce système.
- Télétravail
En cas de télétravail aussi bien structurel qu’occasionnel, le télétravailleur organise lui-même son travail dans le cadre de la durée de travail en vigueur dans votre organisation. Cela signifie que le travailleur doit prester le nombre d’heures prévu dans son horaire de travail, sans devoir respecter strictement les temps de travail de l’horaire. Le travailleur pourrait par exemple s’absenter pendant une heure pour distribuer des prospectus s’il preste cette heure plus tard dans la journée.
Pour éviter des discussions et des surprises, il est opportun et utile de formaliser les accords nécessaires. Ainsi, vous pouvez demander à vos travailleurs d’être assurément joignables à certaines heures. Bien entendu, le contenu de la fonction de votre travailleur détermine également ce qui est faisable et justifiable.
Votre travailleur peut-il distribuer ou afficher des tracts politiques au travail ?
Pendant les heures de travail, votre travailleur doit travailler et laisser ses collègues travailler. Il n’est donc pas possible de distribuer des prospectus pendant les heures de travail.
Est-ce possible pendant les pauses ou après les heures de travail ?
En tant qu’employeur, c’est vous qui tirez les ficelles. Vous ne souhaitez pas que des activités politiques aient lieu ou que des tracts soient distribués dans les locaux de votre entreprise ? C’est votre droit le plus strict. Communiquez lorsque c’est nécessaire et agissez en temps utile pour éviter tout malentendu.