Renforcement de la législation fédérale anti-discrimination
Une loi récente, entrée en vigueur le 30 juillet 2023, a apporté plusieurs modifications aux trois lois fédérales anti-discrimination. Nous vous récapitulons les principales nouveautés.
Contexte
La législation fédérale anti-discrimination interdit et protège contre la discrimination fondée sur des critères protégés dans plusieurs domaines, notamment les relations de travail.
La législation fédérale anti-discrimination se compose principalement des trois lois suivantes :
- la loi anti-discrimination (en entier : « la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination ») ; critères protégés : l’âge, l’orientation sexuelle (dans le texte néerlandais : « seksuele oriëntatie », auparavant : « seksuele geaardheid »), l’état civil, la naissance, la fortune, la conviction religieuse ou philosophique, la conviction politique, la conviction syndicale, la langue, l’état de santé, un handicap, une caractéristique physique ou génétique, l’origine ou la condition sociale (auparavant : l’origine sociale) ;
- la loi genre (en entier : la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes) ; critères protégés : le sexe, la grossesse, la procréation médicalement assistée, l’accouchement, l’allaitement, la maternité, les responsabilités familiales, l’identité de genre, l’expression de genre, les caractéristiques sexuelles et la transition médicale ou sociale (auparavant : le changement de sexe) ;
- la loi antiracisme (en entier : la loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme et la xénophobie ; cette loi a été révisée en 2007) ; critères protégés : la nationalité, une prétendue race, la couleur de peau, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique.
Ancrage légal de formes de discrimination spécifiques
Les lois fédérales anti-discrimination interdisent la discrimination directe et indirecte, ainsi que les comportements consistant à enjoindre de discriminer et le harcèlement.
Sous l’impulsion de la jurisprudence (inter)nationale, il est progressivement apparu que ces formes de discrimination « classiques » ne suffisent pas toujours pour saisir la complexité d’une problématique de discrimination. Ainsi, des situations de discrimination spécifiques peuvent donner lieu à un débat sur la question de savoir si elles répondent ou non à la définition de discrimination interdite. Afin d’accroître la sécurité juridique, la nouvelle loi donne un ancrage légal aux formes de discrimination spécifiques suivantes.
Discrimination multiple
Concept
La discrimination multiple est une discrimination fondée sur plus d’un critère protégé provenant d’une ou de plusieurs lois fédérales anti-discrimination.
La discrimination multiple peut revêtir deux formes :
- Discrimination cumulée : un individu subit plusieurs discriminations distinctes dans le même contexte et par le même auteur, liées chacune à un critère protégé qu’il présente. Les critères protégés impliqués restent dissociables.
Exemple tiré des documents parlementaires : un individu subit une discrimination en tant qu’homosexuel et en raison de son état de santé, certaines maladies étant associées aux hommes homosexuels
- Discrimination intersectionnelle : un individu subit une discrimination en raison de plusieurs critères protégés qui se combinent, et la discrimination ne l’affecte que parce que cet individu présente ces caractéristiques simultanément. Les critères impliqués interagissent et deviennent indissociables.
Exemple tiré des documents parlementaires : une personne subit une discrimination parce qu’elle est une femme d’origine étrangère.
Impact sur les motifs de justification
Une distinction fondée sur un critère protégé ne constitue pas une discrimination lorsqu’il existe pour cette distinction une justification autorisée par la loi.
L’ancrage légal de la discrimination multiple a un impact sur les motifs de justification qui peuvent être invoqués. Cela vient du fait que les motifs de justification prévus dans les lois anti-discrimination diffèrent en fonction du critère protégé invoqué.
Par conséquent, cette nouvelle loi stipule qu’en cas de discrimination multiple, ce sera toujours le système de justification le plus favorable à la personne touchée par la différence de traitement qui s’appliquera.
En d’autres termes, en cas de discrimination multiple, c’est le motif de justification aux conditions les plus strictes qui compte. Cela s’applique aussi bien à la discrimination cumulée qu’intersectionnelle.
Impact sur l’indemnisation de la victime de discrimination
La victime d’une discrimination multiple peut-elle demander plus d’une indemnisation pour discrimination ?
La nouvelle loi stipule qu’il appartient au juge de décider si un cumul d’indemnisations est opportun ou non. Dans ce contexte, le juge doit tenir compte du préjudice spécifique subi par la victime. En aucun cas, l’indemnisation imposée ne peut être inférieure à l’indemnisation forfaitaire applicable.
Discrimination par association
La discrimination par association est la situation dans laquelle une personne subit une discrimination en raison de sa relation étroite avec un individu qui possède un critère protégé.
Exemple tiré des documents parlementaires : un travailleur devenu père est licencié parce que son enfant est porteur d’un handicap et que son employeur estime que cela aura un impact négatif sur sa motivation et son assiduité au travail.
La jurisprudence et les documents parlementaires avaient déjà reconnu que la discrimination par association relève aussi de discrimination interdite. Cette disposition est à présent ancrée dans les lois fédérales anti-discrimination.
Discrimination fondée sur un critère supposé
La discrimination fondée sur un critère supposé est la situation dans laquelle une personne subit une discrimination parce qu’elle est perçue comme présentant une caractéristique protégée, sans que ce soit réellement le cas.
Exemple tiré des documents parlementaires : une personne engagée dans une organisation LGBTQI+ est présumée pour cette raison avoir une certaine orientation sexuelle et subit une discrimination fondée sur ce motif.
Comme l’a reconnu la jurisprudence, il est bel et bien question de discrimination interdite dans ce genre de situations. Le fait que la victime ne présente pas réellement la caractéristique en question n’est pas pertinent. Ce qui compte, c’est que cette personne fasse l’objet d’une distinction de traitement fondée sur un critère protégé.
Adaptation de certains critères protégés
Outre cet ancrage légal de formes de discrimination spécifiques, la nouvelle loi adapte certains critères protégés.
Tout d’abord, le critère protégé « origine sociale » a été étendu dans la loi anti-discrimination au critère « origine ou condition sociale ».
Le législateur veut ainsi préciser que ce critère peut s’appliquer à des personnes traitées de manière défavorable en raison de leur condition sociale actuelle. Les documents parlementaires en donnent les exemples suivants : les sans-abri, les demandeurs d’emploi, les personnes analphabètes ou illettrées, les personnes vivant dans des conditions socio-économiques difficiles, les personnes sortant ou qui sont sorties de la prostitution, ou les personnes qui ont un passé judiciaire.
De plus, dans le texte néerlandais, la nouvelle loi a remplacé le critère protégé « seksuele geaardheid » dans la loi anti-discrimination par « seksuele oriëntatie ».
Avec le concept de « seksuele oriëntatie », le législateur veut indiquer que ce critère est une caractéristique identitaire fluide (pouvant varier dans le temps et en intensité), alors que la formulation « seksuele geaardheid » donne plutôt l’impression que cette caractéristique est innée ou fixe. En outre, le terme « seksuele oriëntatie » se rapproche davantage des termes français et anglais employés dans la législation (inter)nationale (« orientation sexuelle », « sexual orientation »).
Enfin, cette nouvelle loi a reformulé le critère protégé dans la loi genre « changement de sexe » en « transition médicale ou sociale »).
Le législateur veut ainsi réagir au fait que la transition peut revêtir plusieurs formes, la chirurgie d’affirmation de genre étant l’un des sous-aspects possibles. Les documents parlementaires précisent encore que la transition légale, c’est-à-dire un processus impliquant une modification des documents légaux mentionnant le genre et le prénom de la personne en transition, est compris dans la notion de transition sociale.
Renforcement des mesures de protection contre la discrimination
Enfin, nous nous penchons sur les modifications apportées aux mesures de protection juridique contre la discrimination.
Le juge peut ordonner des mesures positives
La nouvelle loi stipule que, dans le cadre d’une action en cessation, le président du tribunal a la possibilité d’ordonner des mesures positives visant à empêcher la répétition de la discrimination.
L’action en cessation est une procédure spécifique menée devant le président du tribunal, par laquelle une personne qui s’estime victime de discrimination demande au juge de prononcer une injonction de cesser la discrimination. Dans certaines situations, il ne suffit pas pour cela que l’auteur cesse d’adopter un certain comportement, mais des mesures positives sont nécessaires. La nouvelle loi reconnaît que le juge de la cessation peut alors ordonner des mesures positives, mettant ainsi un terme à l’incertitude à ce sujet.
Assouplissement des conditions de publication de la décision
Les lois fédérales anti-discrimination stipulent que le président du tribunal peut ordonner que sa décision (ou un résumé de celle-ci) soit temporairement affichée auprès du contrevenant, et/ou dans des journaux ou de toute autre manière, le tout aux frais du contrevenant.
Jusqu’à présent, une telle mesure de publicité ne pouvait être imposée que si elle pouvait contribuer à la cessation de la discrimination ou des effets de celle-ci.
La nouvelle loi supprime cette condition, facilitant donc l’imposition d’une telle mesure de publicité. En effet, une mesure de publication peut contribuer à exercer une pression sur l’auteur de la discrimination et peut également avoir un effet dissuasif à l’égard de tiers.
Adaptation des règles sur l’indemnisation
La nouvelle loi confirme le caractère obligatoire de l’indemnisation pour discrimination. Un juge qui constate l’existence d’une discrimination est tenu d’octroyer une indemnisation si la victime en a fait la demande.
Par ailleurs, la nouvelle loi multiplie par trois les montants de l’indemnisation forfaitaire du préjudice moral subi du fait d’une discrimination : de 650 euros et 1300 euros à respectivement 1950 euros et 3900 euros. À partir du 1er janvier 2024, ces montants seront indexés le 1er janvier de chaque année sur la base de l’indice des prix à la consommation.
Cette nouvelle loi ne modifie en rien l’indemnisation forfaitaire de six mois ou trois mois de rémunération brute en cas de discrimination dans le cadre des relations de travail ou des régimes complémentaires de sécurité sociale.
Voici un récapitulatif des règles en vigueur des lois fédérales anti-discrimination :
- La victime d’une discrimination peut demander une indemnisation de la part de l’auteur de la discrimination. La victime a le choix entre une indemnisation forfaitaire et une indemnisation pour le préjudice réellement subi. Dans ce dernier cas, la victime doit prouver l’étendue du préjudice subi.
- Si la victime réclame l’indemnisation du préjudice moral et matériel résultant d’une discrimination dans le cadre des relations de travail ou des régimes complémentaires de sécurité sociale, l’indemnisation forfaitaire pour le dommage matériel et moral est égale à six mois de rémunération brute.
- Exception 1 : si l’employeur démontre que le traitement défavorable ou désavantageux aurait également eu lieu sur la base de motifs non discriminatoires, l’indemnisation forfaitaire pour le dommage matériel et moral s’élève à trois mois de rémunération brute.
- Exception 2 : lorsque le préjudice matériel découlant de la discrimination dans le cadre des relations de travail ou des régimes complémentaires de sécurité sociale peut être réparé par l’application de la sanction de nullité, l’indemnisation forfaitaire est déterminée conformément au paragraphe suivant.
- Dans les autres cas, l’indemnisation forfaitaire du préjudice moral résultant d’une discrimination est de 1950 euros. Ce montant est porté à 3900 euros si l’auteur ne peut pas démontrer que le traitement défavorable ou désavantageux aurait également eu lieu sur la base de motifs non discriminatoires ou en raison d’autres circonstances, comme la gravité particulière du préjudice moral subi. Ces deux montants font désormais l’objet d’une indexation annuelle.
- Si la victime réclame l’indemnisation du préjudice subi du fait d’une discrimination cumulée ou intersectionnelle, le juge a la possibilité de cumuler les indemnisations forfaitaires applicables, étant entendu que l’indemnisation ne peut en aucun cas être inférieure à l’indemnisation forfaitaire octroyée à la suite de la violation d’un critère protégé.
Source :
Loi du 28 juin 2023 portant modification de la loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie, de la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination et de la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes, MB 20 juillet 2023. Entrée en vigueur le 30 juillet 2023